Un esprit non averti pourrait être étonné d’entendre tel vers de la chanson « Le but » de Loco Locass : « À une époque où les pucks étaient faites de crottin. » Pucks ? Crottin ?
La puck — toujours au féminin, malgré des rumeurs en sens contraire — est la rondelle, élément indispensable au hockey.
Le crottin — dont il n’est peut-être pas nécessaire de fournir une définition — était (est ?) la matière utilisée, par grand froid, pour façonner des rondelles. C’est un des lieux communs de la langue du hockey. Comme les autres, il a un fort parfum de nostalgie.
Quelques-uns évaluent le recours à ce moyen de fortune par des propos techniques. C’est le cas de Frank Selke, l’ancien directeur-gérant des Canadiens de Montréal, dans ses Mémoires, Behind the Cheering, qui évalue au plus près (« toute une période ») la longévité du crottin gelé : « A well-frozen horse bun would often last a whole period. » Trent Frayne, dans ses Mad Men of Hockey, devient presque lyrique quand il se remémore le bon vieux temps de ces rondelles « idéales » :
People who regard the word horseshit merely as an uncouth expletive have led sheltered lives; horses drop round balls when they raise their tails for their morning smile. Frozen, these horse balls serve ideally as pucks.
C’est par le crottin de cheval que sa grandeur serait venue à Howie Morenz, une des étoiles montréalaises des années 1920-1930. C’est du moins ce qu’avance un personnage de la courte pièce Life After Hockey de Kenneth Brown lorsqu’il fait revivre le passé :
‘Course before that, they’d play on any kind of an old slough, piece of horseshit for a puck. Don’t mind I missed it. Mind you, Howie Morenz grew up playing like that, and he was the greatest hockey player ever lived.
Roch Carrier, dans sa biographie de Maurice Richard parue en 2000, parle lui aussi de « crotte de cheval gelée ».
Selke, Frayne, Brown et Carrier estiment les excréments des équidés. Dessin à l’appui (!), Helaine Becker, l’auteure de Drôles d’histoires de hockey, est œcuménique : les premiers joueurs de hockey « ne s’inquiétaient pas trop de savoir ce qu’ils frappaient : des pierres, des morceaux de bois, des vieux fruits tout rabougris, des morceaux de charbon et même des bouses de vache ou du crottin de cheval gelés ! » Jason Blake, dans son ouvrage panoramique Canadian Hockey Literature, évoque les déjections des bovidés. Cela peut paraître contradictoire avec un passage plus tardif de son livre, où il est question des « road apples », ces « pommes de route » qui sont le propre du cheval.
Quoi qu’il en soit, crottin il y eut : preuve de débrouillardise et signe d’amour (du jeu).
Le crottin ne sert pas qu’à la fabrique de rondelles. Selon Jeanot Donfut, dans un documentaire télévisé intitulé Hockey Lessons, il serait envisageable de mettre cette matière à contribution pour ériger les poteaux des buts. C’est plus rare, et plus hasardeux architecturalement.
Il n’y a pas que le crottin dans la vie des hockeyeurs. Selon Roy MacGregor, dans The Home Team, l’un des joueurs les plus célèbres de tous les temps, Gordie Howe, aurait déjà joué avec un rat mort à l’aréna Joe-Louis de Détroit. Diane Dufresne, elle, fait dans le cosmique, dans la chanson « La joute des étoiles », paroles de Luc Plamondon, musique de François Cousineau :
La terre est mise au jeu au milieu de la Voie lactée
Les dieux de l’univers sont venus se la disputer
L’incipit de La guerre, yes sir ! de Roch Carrier, qui n’est pas encore le biographe de Maurice Richard, raconte l’automutilation du personnage de Joseph. Par refus d’aller à la guerre, celui-ci se coupe la main gauche à la hache. Quelques pages plus loin, sa femme croise des enfants qui jouent au hockey dans la rue. Elle imagine qu’ils se servent d’un crottin chevalin. Erreur :
Elle s’agenouilla et ramassa l’objet que se disputaient les gamins avec leurs bâtons, la main coupée de son mari. Les doigts étaient refermés et durs comme la pierre. Les coups de bâtons avaient laissé des marques noires. Madame Joseph la mit dans la poche de son manteau de fourrure et elle rentra chez elle en annonçant aux gamins étouffés de rire que le diable les punirait de l’enfer.
La réalité et l’imagination sportives n’ont guère de limites.
Références
Becker, Helaine, Drôles d’histoires de hockey, Toronto, Éditions Scholastic, 2010, 148 p. Illustrations de Bill Dickson. Texte français de Dominique Chichera-Mangione.
Blake, Jason, Canadian Hockey Literature. A Thematic Study, Toronto, University of Toronto Press, 2010, x/265 p.
Brown, Kenneth, Life After Hockey, Toronto, Playwrights Union of Canada, 1985, 36 p. Texte polycopié.
Carrier, Roch, La guerre, yes sir !, Montréal, Éditions du Jour, coll. « Les romanciers du Jour », R-28, 1970 (1968), 124 p.
Carrier, Roch, Le Rocket, Montréal, Stanké, 2000, 271 p.
Dufresne, Diane, « La joute des étoiles », 1973.
Frayne, Trent, The Mad Men of Hockey, Toronto, McClelland & Stewart Limited, 1974, 191 p. Ill.
Hockey Lessons, émission de télévision de John Hudecki, 2000.
Loco Locass, « Le but », 2009.
MacGregor, Roy, The Home Team. Fathers, Sons and Hockey, Toronto, Viking, 1995, 325 p. Ill.
Selke, Frank J., with H. Gordon Green, Behind the Cheering, Toronto, McClelland and Stewart, 1962, 191 p. Ill.
Pour citer Twitter, Benoît Melançon est « Professeur, chercheur, éditeur, auteur, blogueur, administrateur universitaire, bibliographe. Préfère Jackie Robinson à Maurice Richard. » Plus récent titre paru : Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014), d’où est tiré l’article « Crottin ».
La vignette de la lettre C, comme toutes les illustrations du livre, le portrait de l’auteur et le graphisme de la couverture sont de Julien Del Busso.
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