et quand les doutes se sont confirmés et qu’enfin tout le monde a su, tout ce monde a pensé pauvre femme elle ne pourra maintenant plus aimer son fils, le jour même où elle a perdu ses deux enfants elle a été condamnée à le haïr, il les a tous
il est entré dans l’école comme d’habitude comme toujours, avec une pomme, un sandwich et un petit yogourt dans son sac soigneusement enveloppé par toi sa mère, et avec ce regard de
que personne n’aimait croiser, même pas toi sa mère, mais un regard c’est quoi ce n’est rien il était tout de même poli et il ramenait tout de même de bonnes notes à la maison, c’est ce que tu te disais, ce regard ce n’est rien contre la courtoisie et la rigueur académiques, c’est ce que tu répétais en boucle à tes copines et à toi-même sa mère au fond de ton lit trop tard le soir, il est entré donc dans l’école comme d’habitude, comme toujours, mais il avait au fond de son sac ce poids dur cette
tout le monde a pensé c’est effrayant il n’avait même pas encore de poil au menton, à peine un petit duvet, la maison maintenant remplie par l’attirail de ce grand amateur de chasse et pêche qu’est ton nouveau mari avec toutes ces
tu l’imagines arpenter l’école en attendant que les cours commencent, vous viviez si loin tu devais déposer tes enfants chaque matin une longue heure avant le début des classes, tu n’avais pas le choix sinon tu arrivais en retard au travail, au moins ils étaient deux ils pouvaient se tenir compagnie, mais ce matin-là, comme tous les matins, il a préféré être seul, il a donc marché avec ce poids si lourd dans son sac dans l’attente, puis il ne s’est pas dirigé dans son cours d’anglais que pourtant tu croyais qu’il aimait bien, non il a préféré commencer le
méthodiquement, un par un, classe par classe et étage par étage, et il ne s’est pas arrêté quand il est arrivé à la classe de sa petite sœur, même sa petite sœur, ta petite fille, tout le monde a dit tu ne pourras plus l’aimer mais toi tu ne sais pas, on aurait pu croire qu’il épargnerait sa petite sœur tout de même, c’est ça qui a fait dresser les cheveux sur les têtes, des
c’est fréquent, ça arrive tellement souvent, mais cette fois-ci il y a eu cette sœur, tu ne veux pas comprendre comment il a pu, cette petite qui lui donnait ses portions de chocolat pour effacer ces yeux, cette petite qui disait son nom sans pouvoir prononcer le r et ce surnom qui était resté même vieux, cette petite qui l’aimait, ils s’aimaient, il t’as ôté le droit de croire que tes enfants s’aimaient, tu ne peux même plus croire, pas avec cette photo de sa petite sœur sur le sol avec du
aux lèvres, tu as vu la photo comme tout le monde, pourquoi étaler ton drame devant tous comme ça tu te dis, tu te fâches contre la presse de toutes tes forces, toute ta colère contre ces journalistes jusqu’à l’étourdissement, tu n’es pas fâchée contre lui non tu es dévastée, tu voudrais être
toi aussi, être là-haut car oui tu crois au ciel tu n’as plus le choix, être avec ta petite fille, elle est sûrement un ange maintenant, elle a sûrement des petites ailes comme elle aimait tant en dessiner sur ses princesses que son frère gribouillait toujours, tu souffres sans nom, elle venait tout juste de commencer l’école secondaire, tu t’inquiétais parce qu’elle roulait sa jupe d’uniforme un peu trop haut, peut-être qu’elle regardait les garçons, comme tu voudrais être en haut avec elle et ne plus rien sentir, tu évites de te demander si tu croiserais ton petit garçon là-haut, tout cela sonne très faux maintenant, ton petit garçon, ton petit garçon, que faire maintenant que ton petit garçon est un
ce petit garçon qui a toujours été pour toi une tache sombre sans que tu n’aies voulu l’avouer à personne, tu t’es toujours dit qu’une mère doit aimer ses enfants, qu’une mère ne peut pas penser qu’elle aurait préféré le petit voisin aux yeux de soleil, ton fils tu as toujours essayé alors, il avait de bonnes notes, il disait merci, tout allait bien, maintenant tous te regardent avec pitié et ébahissement à travers le journal, elle a perdu ses deux enfants, et c’est à cause de ce regard monstrueux, au moins ton petit garçon s’est
après avoir fini, tu n’oses pas te dire ça comme ça, au moins, mais c’est ce que tu penses, tu n’aurais pas pu lui faire face, ça n’aurait pas été possible, si tu avais dû regarder ce petit garçon et ce regard voilé une fois de plus tu aurais
tu n’aurais pas pu
Pénélope Langlais-Oligny termine un baccalauréat en littérature et études latino-américaines à l’Université de Montréal. Les cours de création littéraire qu’elle a suivis au baccalauréat lui ont appris qu’elle pouvait et qu’elle aimait écrire.
Son texte « Ton petit garçon est un », écrit dans le cadre du cours FRA 3709 (« Chantier de la création ») donné par Catherine Mavrikakis, a reçu la bourse Monique-Bosco 2016 du Département des littératures de langue française. Cette bourse, qu’elle partage avec Laurent de Maisonneuve, a été instituée afin d’encourager les étudiants doués à persévérer dans leur travail, mais aussi pour signaler l’importance accordée par le département à la création dans ses programmes. Elle a été créée pour honorer la mémoire de Monique Bosco (1927-2007), femme de lettres, professeure à l’Université de Montréal et pionnière dans l’enseignement de la création au département.
Illustration : Helleu Paul César
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