Deux mots pour me définir en cette période électorale ?
Privilégié. J’ai la sécurité d’emploi, un bon salaire, des avantages sociaux importants. Je fais un travail que j’aime. J’aimerais pouvoir dire que je suis de la classe moyenne, mais ce n’est pas vrai. Comme la plupart de mes collègues professeurs d’université, je fais partie de ceux qui n’ont guère à s’inquiéter quotidiennement de leur avenir financier.
Cela veut dire que je paie une somme considérable d’impôts, ce que je fais sans (trop) rechigner. Beaucoup des choix qu’a faits la société québécoise en matière sociale me conviennent parfaitement et je trouve normal de contribuer à les financer.
Insatisfait, et trois fois plutôt qu’une.
Du niveau du débat politique. On l’a vu dans les débats télévisés diffusés récemment. « C’est toi ! — Non, c’est toi ! » : voilà encore trop souvent le niveau des échanges politiques.
Du mode de scrutin. Aussi bien au fédéral qu’au provincial, je vis dans des comtés où les jeux sont faits d’avance. Mes députés sont libéraux et ils le resteront. En l’absence d’un mode de scrutin qui ferait place à la représentation proportionnelle, mon insatisfaction ne sera jamais véritablement entendue. (Cela ne m’empêchera pas d’aller voter le 4 septembre.)
Des enjeux de la campagne, enfin. Comme tout le monde, j’aimerais attendre moins longtemps à l’hôpital. Comme tout le monde, j’aimerais utiliser des infrastructures correctement entretenues. Comme tout le monde, j’aimerais mieux que collusion et corruption ne soient pas des mots de tous les jours.
Pourtant, rien de tout de cela ne devrait être le véritable enjeu de la campagne électorale. À mes yeux, la question qui devrait occuper tout le monde en priorité est celle de l’éducation.
Quand je parle d’éducation, je ne parle pas de rallonger les journées à l’école, de former plus d’ingénieurs, de donner de l’argent aux familles pour payer les fournitures scolaires ou d’élargir l’application de la loi 101 aux cégeps. Je parle de la nécessaire prise de conscience que des menaces graves pèsent sur l’ensemble du système éducatif québécois et, par conséquent, sur la société québécoises. Deux exemples.
Selon la Fondation québécoise pour l’alphabétisation, « 49 % des Québécois âgés de 16 à 65 ans ont des difficultés de lecture. Parmi ceux-ci, 800 000 adultes sont analphabètes. » Sur 8 000 000 de personnes, dans une société riche, au XXIe siècle.
Malgré le « printemps érable », les universités québécoises sont sous-financées, et depuis longtemps. Or on ne peut pas imaginer que la société québécoise prospère si ses institutions de savoir n’ont pas les moyens de leurs ambitions.
Sur l’analphabétisme, les partis politiques sont bien discrets. Le sous-financement des universités paraît être devenu un sujet tabou.
Faudrait-il augmenter les impôts des privilégiés pour assurer la survie et le développement de l’éducation au Québec ? Pour ma part, je pourrais accepter pareille proposition. Personne ne la fera : l’éducation ne compte pas assez dans le Québec d’aujourd’hui. La campagne électorale le redit chaque jour, par ses silences.
Benoît Melançon est directeur du Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal et directeur scientifique des Presses de l’Université de Montréal.
«Autoportrait électoral d’un privilégié insatisfait» a d’abord été publié par le Journal de Montréal le 23 août 2012 (p. 25), dans le cadre des élections provinciales de cette année-là. L’auteur considère que ce texte est encore (malheureusement) d’actualité. Il remercie Michel Dumais pour la parution initiale.
Portrait de Benoît Melançon par Andrew Dobrowolskyj (Université de Montréal)
L’image des perroquets (Amazona arausiaca) provient de Wikimedia Commons.
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