Vendredi 6 h 15, son cadran sonne. Il appuie sur snooze. Une fois. Deux fois. Trois fois. Attrape son cellulaire sur la table de chevet. Pas de réponse à son message de la vieille. Le rendez-vous tient toujours ? Sûrement. Elle ne se presse jamais pour répondre ; lorsqu’elle répond. Maxime se permet encore cinq minutes d’un demi-sommeil rendant son réveil plus difficile.
Levé, il enfile les vêtements disposés sur la chaise le soir précédent. Pantalon propre, chemise, veston. Maxime éprouve beaucoup de fierté lorsque ça concerne son fils, même à 6 h 45 le matin. Il quitte l’appartement sans bruit, laissant sa blonde et le chien dormir.
Sans le trafic, il en a pour une heure environ. Avec le trafic, on ne sait jamais, mais Maxime n’arrive pas en retard lorsqu’il s’agit de Félix. Parce que Camille ne manquerait pas d’en parler à la médiatrice — misandre finie — et parce que de toute façon, Max n’arrive pas en retard lorsqu’il s’agit de son fils. Il s’engage donc sur la route de la petite municipalité à 8 h, pour son rendez-vous de 8 h 30. Le temps de passer au Tim. Parfait.
— Un moyen. Un lait, deux sucres s’il vous plaît.
8 h 09, Max attend avec son café et sa cigarette derrière le volant de sa voiture, dans le stationnement de l’école – à 8000 dollars l’année – pour laquelle son garçon passe un examen d’entrée ce matin. Il expire lentement, laissant retomber sa tête sur l’accotoir.
8436 dollars, pour être exact. Collège privé. Félix a 5 ans. L’idée de Camille, évidemment. Camille n’a pas terminé son secondaire 3. Réfléchissant en père, Maxime comprend ses arguments. N’importe qui aimant ses enfants veut les envoyer dans les meilleures écoles, mais n’est idéalement pas sur le BS depuis toujours. Camille ne connaît pas la valeur de l’argent. Idéalement, le collège privé n’est pas 60 kilomètres de Montréal. Camille ne veut pas négocier. L’école publique du coin ne vaut rien, qu’elle dit. Maxime aime son garçon, mais Félix n’a que 5 ans et ne maîtrise qu’un répertoire de mots très restreint dont la moitié sont inventés.
8 h 22, aucune de trace de maman, du copain ou de l’enfant dans le stationnement enneigé du collège. Max regarde sa montre à nouveau. Vérifie l’heure et la journée du rendez-vous. On ne sait jamais. Enfants et parents commencent à être nombreux à presser le pas vers l’intérieur de l’établissement. Maxime soupire.
— Come on Camille…
Le temps pour une autre cigarette en finissant son café.
8 h 28, une Civic grise de l’année tourne dans le stationnement et se gare plus loin. Certainement pas celle de Jesse, le conjoint de Camille. Une femme endimanchée aide son enfant à en sortir pour le traîner au pas de course vers l’édifice. Réalisant l’heure qu’il est, Max se décide à entrer.
À l’intérieur, il ne les voit pas. Au vestiaire, il accroche son manteau parmi les autres. Examinant les tringles d’un œil distrait à la recherche d’un vêtement familier, il rejoint les autres parents dans la salle principale. Un flot d’enfants déferle devant lui. Une petite main lui agrippe le pantalon au passage.
— Allôôôô, Papa !
Félix, entraîné par une animatrice trop souriante, oublie rapidement son père confus de le voir surgir ainsi. Maxime sort son téléphone, cherche Camille du regard. Un responsable se racle la gorge pour attirer l’attention des parents.
— Tous vos magnifiques enfants suivront notre superbe Karen vers notre belle salle d’examen ! Ils devraient en avoir pour deux bonnes heures. Nous aurons donc le temps de visiter les splendides locaux de l’établissement du préscolaire et de la maternelle !
Encore un peu surpris, Max renonce à son texto, regarde l’heure une dernière fois et range l’appareil en haussant les épaules. 8 h 36, sans nouvelles de Camille. Maxime s’engage dans les corridors avec le groupe serré de riches parents avocats-médecins-astronautes.
Le tour du propriétaire dure effectivement deux bonnes heures durant lesquelles Maxime fond d’exaspération à calculer le coût des activités parascolaires, du service de repas chauds, des sorties de classe et autres activités indispensables. Cursus complexe, étoffé, strict. Chaque cours requiert son lot interminable d’objets vendus uniquement chez certains détaillants — hors de prix — naturellement. Art plastique, éducation physique, musique, mathématiques, « yogenfant » et ainsi de suite.
Maxime oublie Camille, le temps de la visite. Pas difficile. Il s’attend finalement à la retrouver près des cafés et petits jus offerts au retour des parents. C’est gratuit. Elle n’y est pas. Elle n’est pas venue. Elle peut se la mettre dans le cul sa médiatrice partiale.
11 h 45, les enfants rejoignent leurs parents. Maxime s’accroupit pour accueillir son fils, ignorant l’absence Camille.
— C’était bien ?
Le garçon sourit, incertain. Regarde autour de lui.
— J’ai faim…
— Prends un jus, tu mangeras à la maison. C’est pas mon week-end cette semaine et je travaille tantôt, alors j’te ramène chez maman. Let’s go.
Bienveillant, Maxime se relève et attrape son garçon. Retrouve le manteau de Félix qui, incapable de servir d’un cintre, l’avait enfoui sous les autres vêtements bien rangés par les parents responsables.
Éprouvant des difficultés dans le choix de ses mots, Félix parle très peu sauf pour se perdre habituellement dans des délires imaginaires. Max habille son petit, aujourd’hui bien réservé.
12 h 07, père et fils s’engagent dans le stationnement de l’HLM où réside Camille. 140 petits dollars par mois pour un 4 ½ dans un complexe locatif neuf. 1-0 pour la banlieue. La vieille Civic de Jesse n’y est pas. Sans doute parti travailler. Déjà ça de bon. Max tourne dans l’espace destiné au logement #5 de Camille. Libère l’enfant de son siège. Le suit qui court à l’avant de l’immeuble et s’engouffre dans l’appartement sans frapper. La porte n’est jamais verrouillée, ici. Énervé, Max prend le temps de s’allumer une cigarette avant d’entrer. Garder son sang-froid devant cette impuissance envers la mère de l’enfant. Toujours.
— Personne Papa !
Mécontent, Maxime jette sa cigarette en se dirigeant vers le petit, debout sur le porche. Derrière lui, quelque chose est différent. Divan, table à manger et chaises à leur place. Ce qui cloche ? Tout le reste. Portes d’armoires et tiroirs ouverts, à moitié vides. Frigidaire, totalement. Trois, quatre assiettes sales dans le lavabo. Les armoires de la salle de bain, vides, aussi. La douche n’a plus de rideau. La chambre de Camille est éventrée. Moutons de poussières et cochonneries sur le plancher. Un matelas taché sans drap sur le sol, mais elle n’avait pas de lit de toute façon.
La chambre de Félix, elle, est restée intouchée. La commode déborde de vêtements. Mille et un jouets éparpillés sur le linoléum faux marbre, rien de rangé. Machinalement, Maxime ouvre les tiroirs, saisi deux trois trucs au hasard. Félix se tient sur le pas de la porte, perplexe. Max s’accroupit devant le garçon, sourit et prend un sac plastique à portée de main.
— Tu sais quoi ? J’avais oublié que c’était mon week-end. T’as faim, hein ? On va aller manger.
Étudiante au baccalauréat en écriture de scénario et création littéraire de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, Sophie-Rose Lefebvre aspire à un avenir dans le milieu de la création que ce soit au cinéma ou en littérature. À force d’écrire, elle apprend à connaître et à construire son style, ce qui la pousse à essayer de nouvelles choses. Il lui semble primordial de rédiger des textes qui la rejoignent et auxquels elle croit, sans toutefois savoir si ses potentiels lecteurs y adhèreront eux-mêmes. C’est peut-être un risque, mais peut-être aussi ce qui caractérise son écriture.
Sa nouvelle « École buissonnière », écrite dans le cadre du cours FRA 2710 (« Exploration des genres ») donné par Jean-Simon DesRochers, a reçu la bourse Monique-Bosco 2015 du Département des littératures de langue française. Cette bourse a été instituée afin d’encourager les étudiants doués à persévérer dans leur travail, mais aussi pour signaler l’importance accordée par le département à la création dans ses programmes. Elle a été créée pour honorer la mémoire de Monique Bosco (1927-2007), femme de lettres, professeure à l’Université de Montréal et pionnière dans l’enseignement de la création au département.
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