Pour un francophone, il est probablement plus facile de lutter contre l’essentialisme linguistique que contre une maladie répandue, mais peu douloureuse, qui affecte sa communauté. Cette maladie a été décrite par Jean-Marie Klinkenberg dans le premier chapitre de son ouvrage La langue et le citoyen (2001) : « Un francophone, c’est d’abord un sujet affecté d’une hypertrophie de la glande grammaticale ; quelqu’un qui, comme Pinocchio, marche toujours accompagné d’une conscience, une conscience volontiers narquoise, lui demandant des comptes sur tout ce qu’il dit ou écrit. » Il est normal pour qui souffre de cette hypertrophie de s’interroger sur ce qu’il dit, sur comment il le dit et sur comment un autre le dirait.
Cette interrogation peut être douloureuse et prendre la forme de l’« insécurité linguistique » ou de la « fragilité linguistique », voire de la « culpabilité linguistique » ou du « désarroi linguistique », sentiments dont les Québécois n’ont pas le monopole. La personne qui parle vit alors sur le mode de la crispation son rapport à la langue, elle s’inquiète de la façon dont elle sera entendue, elle est continuellement menacée par la faute ou ce qu’elle croit tel. (Des linguistes, magnanimes, utilisent le mot écart. Ça ne fait pas moins mal.) Aussi récemment qu’en 2004, un grand quotidien montréalais (La Presse) lançait une chronique destinée à corriger les erreurs de langue les plus fréquentes au Québec, renouant par là avec une longue tradition d’hypercorrection et donc de discours punitif.
N’y a-t-il pas moyen d’apprendre à vivre avec ce trouble glandulaire sans en souffrir outre mesure ? Je suis de ceux qui ne se résignent pas à ce que l’on puisse préférer décéder à mourir. Je suis marri qu’un plombier, au lieu de reconnaître un problème, me dise : « Ma problématique, c’est ce tuyau-là. » Quitter, pour moi, exige un complément d’objet : on ne devrait pas dire J’ai quitté à cinq heures ; je n’en démordrai pas. En bon francophone, je n’hésite pas à demander « des comptes » en matière de langue à ceux qui m’entourent, sur ces façons-là de dire ou sur d’autres. (Je vis avec mes idées reçues sur la langue et mes propres obsessions.) Aborder ces expressions avec humour et détachement me paraît la meilleure façon d’accepter sa condition.
Benoît Melançon est directeur du Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal et directeur scientifique des Presses de l’Université de Montréal.
Le texte ci-dessus est la « Postface » de son ouvrage Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue) (Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p.).
Portrait de Benoît Melançon par Andrew Dobrowolskyj (Université de Montréal)
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